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Dites-moi qui vous êtes je vous dirai ce que vous faites


L’usage et le sens commun nous enseignent – bizarre pédagogie! – que plus les gens savent ce que nous faisons dans la vie, davantage ils sont capables de nous identifier. Ils sont guidés par la dynamique selon laquelle : Dites-moi ce que vous faites, je vous dirai qui vous êtes. Cette pédagogie a ceci de pernicieux qu’elle prend pour fondement le fait que ce que nous faisons détermine qui nous sommes. En d’autres mots, la valeur d’un être humain aux yeux de ses pairs serait proportionnelle à l’importance de son occupation. Il en résulte que, dès son très jeune âge, l’individu se trouve obnubilé par cette quasi indéracinable envie de vouloir absolument faire quelque chose pour prouver aux autres qu’il est quelqu’un.

La vie quotidienne sert de manuel à ce type d’apprentissage. Il est d’usage dans les communications interpersonnelles de se faire demander par un interlocuteur : Que faites-vous dans la vie? Il n’est point rare non plus où cette demande intervienne à un moment assez tôt des premières conversations avec un inconnu. Personnellement, je ne sais par quelle piqûre j’ai été piqué le jour où j’ai pris la décision de répondre autrement à cette question parfois irritante. Je me souviens même du jour où j’ai été amené à voyager en covoiturage avec des inconnus. Aussitôt montés à bord de la voiture qui nous transportait, le conducteur,après les salutations d’usage, s’empressa à nous demander la question fatale : Que faites-vous dans la vie? Bien évidemment, chaque passager répondait du mieux qu’il pouvait, en se basant sur ce qu’il lui aurait semblé être la bonne réponse à la question du conducteur et, paraît-il, en fonction de sa propre définition de l’expression faire quelque chose dans la vie. Mon tour arriva. Ma réponse fut brève : Je ne fais rien d’intéressant. L’inattendue réponse provoqua un silence de cathédrale. Pire. Ni le conducteur ni les passagers ne m’adressèrent plus la parole tout au long du voyage. Inutile de vous dire comment le chemin était long; rompant ainsi avec le caractère court de ma réponse.

Cet exemple et bien d’autres, m’ont vite fait comprendre que la question Que faites-vous dans la vie? stipule, chez celui qui me la demande, une réponse bien définie par ses soins : Je fais ceci ou cela. La réponse Je fais ceci ou cela sert à l’interlocuteur d’ancrage (ou de raccourci) lui permettant de circonscrire, à peu de frais, quel être je pourrais bien être. Toute réponse qui sort du cadre pré-défini n’assume plus son rôle pré-établi par mon interlocuteur, et par conséquent, le déstabilise. Nous pouvons même parler d’échec du système de communication.

Comment donc faire pour retrouver l’équilibre du système, ou ce que le père de la cybernétique Norbert Wiener entend par « l’homéostasie »? Et si nous essayions de braver la tradition et renverser le sens commun, en tentant de voir les choses sous un angle tout à fait différent? Qui êtes-vous? se substituerait à Que faites-vous? Au lieu de s’attendre à une fatidique réponse du genre : Je suis avocat; je suis menuisier; je fais des études en art plastique; ou encore, je ne fais rien d’intéressant, la réponse serait plutôt de type : Je suis un passionné de la peinture sur vitre; je suis épris de lecture des romans d’Agatha Christie; je ne suis rien sans ma tendre moitié ; je suis un père de famille heureux ou une épouse comblée…

En plaçant l’être avant le faire, les réponses seraient plus vivantes et les conversations davantage passionnantes. Car, après tout, ce que nous sommes finira toujours par définir ce que nous allons devoir un jour faire. Quand nous le faisons avec passion, car émanant de ce que nous sommes, le résultat serait étonnamment plus intéressant.

La prochaine fois que vous avez envie de poser à votre interlocuteur la question : Que faites-vous dans la vie?, pensez plutôt à lui demander ceci : Dites-moi qui vous êtes, je vous dirai ce que vous faites.

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